• Témoignage d’un ex-légionnaire.

    Article publié le 1 octobre 2009  Source: ADEFDROMIL

     

    Je me suis engagé en été et après avoir terminé dans les premiers des sélections à Aubagne, j’ai été envoyé à Castelnaudary dans une section d’une cinquantaine d’engagés volontaires. Au bout d’une semaine au régiment nous sommes donc partis à « la ferme » pour une durée d’un mois. C’est dans cette ferme, loin du régiment, des gradés et de la police militaire, que s’est passée la partie la plus dure de mon instruction.

    Tous les matins, rassemblement, nus dehors, qu’il pleuve ou non. A ce moment-là nous recevions les ordres de la matinée, et attendions que les chefs d’équipe se décident à nous autoriser à nous habiller. Après un déjeuner plus ou moins facultatif, nous partions pour des footings, ou des parcours d’obstacles. Les retardataires au footing subissaient de nombreux coups allant même jusqu’à se retrouver au sol, battus par plusieurs caporaux (cela m’est arrivé une fois, alors que j’avais une entorse de la cheville et que l’on m’avait interdit la consultation, j’avais fini la tête en sang).

    Au cours de ce mois passé à la ferme, plusieurs d’entre nous terminèrent à l’infirmerie, et l’un finit même par être inapte définitif suite à un coup de rangers dans le dos pendant une « position du prisonnier coréen ». Le caporal responsable fit seulement une semaine de prison. A force de constater nos aller et retour à l’infirmerie et des désertions (4 ou 5 en un mois) l’OPSR (officier protection sécurité régimentaire) s’est déplacé plusieurs fois à la ferme pour nous interroger un par un sur les méthodes d’instruction de nos cadres.

    La plupart de nos caporaux insultaient constamment l’un de nos camarades qui était  africain, car il ne comprenait rien et nous « ramassions » tout le temps à cause de lui ; et le pire c’est qu’à force d’entendre les mots « macaque », « singe », « bamboula », « bougnoule », etc., nous nous y étions habitué. Bref, parfois nous passions des nuits entières en slip à ramper, dans la boue, dans les graviers, à alterner la marche en canard avec diverses positions (prisonnier coréen, crocodile, etc.) toutes plus sadiques les unes que les autres. Des fois pour nous laver, les cadres nous alignaient nus, et nous arrosaient avec un tuyau d’arrosage, tout en nous prenant en photo et en buvant leur bière. Nous étions de vraies bêtes, nous ne nous considérions plus comme des êtres humains : nous étions des « merdes », nous le savions et nous l’acceptions.

    Un jour, un prêtre est venu, il était appelé « le suce bite » ; il nous amena à boire et à manger, du sirop, des gâteaux etc. Pour nous faire payer ce luxe indigne d’un engagé volontaire, nous n’avons pas remangé pendant deux jours ; nous regardions les gradés manger pendant que nous restions au garde-à-vous en plein soleil, sans manger et sans boire (certains prenant des coups de chaleur). Parfois, lorsque l’un d’entre nous soufflait, les caporaux lui lançaient une assiette à la tête. L’après-midi, après le passage du prêtre, un caporal mit une grenade d’exercice dégoupillée dans la bouche de l’Africain, il nous  dit de mettre d’énormes pierres dans notre musette et nous emmena dans la colline faire des roulades et autres « conneries » ; certains ne purent, après, se baisser pendant plusieurs jours.

    Une nuit on a eu un rassemblement dans la tenue du moment (comme nous étions obligés de dormir en slip, la tenue du moment était donc le slip), ils nous ont ordonné de nous allonger face au sol, les mains dans le dos. Il pleuvait et nous étions gelés. Ils nous ont masqué le visage un par un, ils nous ont attaché les mains avec des « serflex », puis ils nous ont entassés dans un GBC en « position marchandise » (c’est-à-dire sans les bancs et les bâches baissées), pendant une durée qui m’a paru une éternité. Ils nous ont baladés, nous tombions dans tous les sens, nous nous cognions les uns contre les autres, nous avions du mal à respirer, nous ne voyions plus rien. Puis ils nous ont fait descendre, dans la boue ; là, ils nous ont pris un par un et nous ont cognés pour savoir qui avait volé de la « bouffe » à la popote (restaurant des cadres dans lequel nous servions « d’esclaves »). Le résultat a été qu’on n’a jamais su qui avait fait le coup. Une dizaine de personnes étaient blessées et la moitié de la section voulait repartir dans le civil après cette expérience, sans doute l’une des pires de ma vie. Voilà pour ces quatre premières semaines en tenue de combat.          

    Pendant une période sur le terrain, les caporaux nous ont pris toutes nos rations, les ont mélangées dans une marmite, et ont vidé la marmite par terre. Ils nous ont forcés à tout manger, comme des animaux et à chaque fois ils nous laissaient 10 ou 15 secondes pour tout manger, sinon ils sautaient dedans à pieds joints et après, nous redonnaient l’ordre de manger pendant 10 secondes.

    A la fin de la marche « képi blanc », nous sommes retournés au régiment, là de nouveau nous avons été convoqués au bureau de l’OPSR un par un, pour savoir ce qu’il s’était passé durant ce mois. Pendant les trois mois qui suivirent nous n’avons  eu droit qu’à 2h de quartier libre, et encore, un quartier libre en colonne par un, pendant lequel nous n’avons fait que marcher dans la ville. Le reste de l’instruction était plutôt calme comparé à « la ferme » surtout qu’un mois après notre retour, nous avons changé de cadres et les nouveaux étaient moins sadiques.

    A l’issue de l’instruction à Castelnaudary, on nous a demandé qui voulait partir dans le civil, en nous prévenant que ceux qui voulaient partir resteraient encore six mois au      4e RE, à « ramasser comme des chiens » ; en gros on ne nous laissait pas le choix, je voulais partir de la Légion, mais je ne voulais pas rester six mois « en prison » (après tout je n’avais commis aucun délit, je n’ai jamais eu le moindre souci avec la justice !). J’ai donc fait le choix d’aller dans un régiment de combat.

    La courte période d’instruction dans ce régiment fut géniale, je me sentais comme un poisson dans l’eau, j’étais toujours l’un des meilleurs, ce qui me valait un minimum de respect de la part de mes supérieurs et surtout on me confiait souvent la responsabilité de la section. Je retrouvais enfin la motivation qui m’avait poussé dans l’armée. Après le CPE on a intégré une compagnie de combat, et là tout a changé : à nouveau traité comme une « sous-merde », sauf que cette fois, le racisme avait changé, cette fois c’était les Français que nous détestions. La haine envers les Français était telle, qu’il y avait même un tableau dans un couloir avec les bandes patronymique de tous les déserteurs francophones de la compagnie. L’un des caporaux, un Brésilien m’avait dans le collimateur, et malgré le fait que même en compagnie de combat je sois toujours l’un des meilleurs, j’étais son bouc émissaire : de garde tous les week-ends, d’EIT (élément d’intervention à temps) le soir de Noël, de garde pendant mes PLD (permission de longue durée) de Noël, etc. Je passais des nuits entières, avec sac à dos, camouflage, gilet de combat etc. à frotter les couloirs à la brosse à dent, à essorer avec mes lacets de rangers, à cirer les rangers de toute la section, à laver les WC sans gants, sans rien.

    Lors de mon CTE  j’ai pris la décision de déserter. A la Légion on a un dicton : Marche ou crève. Là les sergents, les caporaux-chefs et les caporaux m’ont dit : « Pour toi c’est déserte ou crève ». Cela faisait déjà deux semaines que je creusais des trous toutes les nuits, que je faisais tous mes déplacements en marchant en canard, que j’assurais la moitié de la garde à moi tout seul, pour la seule et unique raison, qu’un caporal ne pouvait pas me « blairer ». J’ai passé le rapport du capitaine pour partir. Il n’a pas voulu, il a même dit « qu’un aussi bon élément que moi représentait sa compagnie dans chacun des challenges et qu’il se devait de me garder ». Je ne pouvais pas lui parler de mon calvaire car « balancer » est impossible pour moi, ça aurait été encore moins honorable que de déserter. J’ai donc décidé de déserter, ce que je fis la nuit même. Cette nuit-là, nous étions quatre à déserter. A la fin du CTE, la compagnie comptait dix déserteurs. Un seul est resté.

    Le lendemain je me suis présenté au Centre d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) de ma ville pour intégrer l’armée régulière et là, on m’a dit, qu’en tant que déserteur je ne pouvais prétendre à une nouvelle place au sein de l’armée française.

    Aujourd’hui je suis soldat dans une unité d’élite étrangère, bien loin de la Légion, et je m’y plais énormément.


    9 commentaires
  • Trajectoires de déserteurs, entre désillusion et détresse morale

     

    Par Nathalie Guibert

    Au début, raconte-t-il, "j'avais la niaque, j'adorais l'armée". Il l'a quittée. "C'est pas volontairement. Il y a des choses qui ont fait que... j'ai eu trop de soucis." Romy Jean-Charles, un mince jeune homme de 25 ans, tient ses épaules droites dans sa veste sombre, inquiet face au juge. Dans quelques minutes, il va être condamné à deux mois de prison avec sursis pour désertion.

    Le tribunal aux armées de Paris, qui traite les délits et les crimes commis par les militaires envoyés à l'étranger, juge une vingtaine d'affaires ce mardi 15 décembre après-midi. Des violences. Et une salve de "désertions à l'intérieur en temps de paix", faits passibles de trois ans d'emprisonnement.

    Au début, tout allait bien. En 2006, Romy s'était engagé pour cinq ans au 16e régiment de chasseurs de Sarrebourg. Après une campagne au Kosovo, il a décroché une médaille. Cela avait bien commencé aussi pour Jérémy Chiron, qui n'a que 21 ans. Il avait signé pour trois ans, affecté au 3e régiment de hussards d'Immendingen, en Allemagne. Lui aussi est allé au Kosovo, quatre mois, entre 2007 et 2008. Il a gardé la coupe de cheveux d'usage, mais se présente aujourd'hui, très pâle, en costume. Il est devenu maître-chien. "La vie militaire ne m'a pas plu. Sauf le début, quand il faut se mettre en valeur, et qu'on apprend beaucoup sur soi-même. Après, ça n'a plus rien à voir."

    Il s'est passé des "choses", bredouillent ces anciens soldats à la parole aussi brève que leur carrière militaire. Passée la période d'instruction, ou au retour d'une "opération extérieure", un événement "a fait que", comme dit Romy. Lui évoque "la situation de mes parents, mes problèmes à côté, mon permis de conduire retiré, des douleurs ". Il est "parti voir un psy car à l'armée on ne pouvait pas vraiment lui expliquer". Il s'est mis en arrêt maladie. Ne s'est pas représenté au bout du délai de grâce des quinze jours. Puis a laissé filer. Le voilà agent de sécurité incendie. "Et maintenant, ça se passe bien ?", demande, bienveillant, le président Henri Garric. "On essaie de construire quelque chose."

    L'avocat n'a guère à ajouter sur "ce jeune homme plein d'avenir". La procureure, Alexandra Onfray, est dubitative. Elle voit trop de déserteurs dans les régiments basés outre-Rhin ; manifestement, ils se donnent le mot. Le problème a été signalé à l'état-major. "Il faut que les déserteurs d'Allemagne sachent que les poursuites pénales seront une certitude", lance-t-elle.

    Pour Jérémy, nul doute en revanche. "Mentalement, ça n'allait plus bien du tout. Je n'arrivais plus à dormir et j'avais des comportements difficiles avec ma famille." Seul son médecin traitant l'a aidé, confie-t-il. Avec des antidépresseurs. Et dix mois d'arrêt maladie. "Il a indiscutablement mal vécu sa mission au Kosovo, compatit la procureure. Il a été le souffre-douleur. C'est à son retour qu'il a manifesté un état anxio-dépressif." Quand il est réapparu devant le médecin militaire, c'était trop tard : "terminé", lui a-t-on dit. Le tribunal prononce 15 jours de prison avec sursis.

    Souvent, la violence s'en mêle. Les "rapatriés disciplinaires" prennent les "vols bleus", les blessés embarquent sur les vols sanitaires. De "pitoyables bagarres d'arsouilles", enfumées par la loi du silence, note Mme Onfray, qui obtient un an de mise à l'épreuve pour Veasna Bouth, 23 ans, absent de l'audience, comme beaucoup. Lui a déserté au bout de deux ans. Sans diplôme ni ressources connues à ce jour, il gardera un tympan perforé par une "claque du légionnaire", après une rixe de la Saint-Sylvestre à Mitrovica.

    L'armée a déjà dit au première classe Frédérik Boisgerault, 23 ans, que son contrat ne serait pas renouvelé, en avril 2010. Il n'avait pas d'antécédents judiciaires. Mais au 3e régiment de hussards, il a collectionné les jours d'arrêt : violences, "absences irrégulières", début de désertion. La hiérarchie avait noté : "Il doit se reprendre en main sans tarder. "

    A l'occasion d'un pot de départ, en août 2008, des sous-officiers très alcoolisés ont entamé une bataille rangée avec les premières classes qui s'étaient invités. Dans le garage où se tenait la fête, les gradés ont saisi pelle, hache, chaîne de tronçonneuse. Quand la situation s'est calmée, Frédérik Boisgerault est allé frapper son brigadier dans sa chambre. Cette "voie de fait envers un supérieur" lui vaut trois mois avec sursis.

    Comme pour les autres, le tribunal exclut une inscription de la peine au bulletin numéro 2 du casier judiciaire. Une telle mention rendrait impossible une reconversion dans un métier de la sécurité. Elle fermerait la porte d'un avenir déjà un peu compliqué, souligne inlassablement le président Garric.


    1 commentaire
  • Il est difficile de nos jours de connaître les figures exactes du nombre de déserteurs dans l'Armée Française.

    Ces dernières années, les absences irrégulières non justifiées faisant l’objet d’une procédure de désertion ont concerné annuellement près de 2 000 militaires de l’armée de terre.

    À la date du 8 décembre 2009, 391 militaires étaient considérés comme déserteurs au sein de cette armée, parmi lesquels 12 servaient à titre étranger. L’armée de terre ne détient actuellement pas de statistiques par arme, mais uniquement par brigade. Ainsi, sur les 391 déserteurs recensés, 35 appartenaient à la 11e brigade parachutiste (soit 0,4 % de son effectif), 12 à la 9e brigade légère blindée d’infanterie de marine (soit 0,2 % de son effectif) et un à la brigade des forces spéciales terre.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique