• Trajectoires de déserteurs, entre désillusion et détresse morale

     

    Par Nathalie Guibert

    Au début, raconte-t-il, "j'avais la niaque, j'adorais l'armée". Il l'a quittée. "C'est pas volontairement. Il y a des choses qui ont fait que... j'ai eu trop de soucis." Romy Jean-Charles, un mince jeune homme de 25 ans, tient ses épaules droites dans sa veste sombre, inquiet face au juge. Dans quelques minutes, il va être condamné à deux mois de prison avec sursis pour désertion.

    Le tribunal aux armées de Paris, qui traite les délits et les crimes commis par les militaires envoyés à l'étranger, juge une vingtaine d'affaires ce mardi 15 décembre après-midi. Des violences. Et une salve de "désertions à l'intérieur en temps de paix", faits passibles de trois ans d'emprisonnement.

    Au début, tout allait bien. En 2006, Romy s'était engagé pour cinq ans au 16e régiment de chasseurs de Sarrebourg. Après une campagne au Kosovo, il a décroché une médaille. Cela avait bien commencé aussi pour Jérémy Chiron, qui n'a que 21 ans. Il avait signé pour trois ans, affecté au 3e régiment de hussards d'Immendingen, en Allemagne. Lui aussi est allé au Kosovo, quatre mois, entre 2007 et 2008. Il a gardé la coupe de cheveux d'usage, mais se présente aujourd'hui, très pâle, en costume. Il est devenu maître-chien. "La vie militaire ne m'a pas plu. Sauf le début, quand il faut se mettre en valeur, et qu'on apprend beaucoup sur soi-même. Après, ça n'a plus rien à voir."

    Il s'est passé des "choses", bredouillent ces anciens soldats à la parole aussi brève que leur carrière militaire. Passée la période d'instruction, ou au retour d'une "opération extérieure", un événement "a fait que", comme dit Romy. Lui évoque "la situation de mes parents, mes problèmes à côté, mon permis de conduire retiré, des douleurs ". Il est "parti voir un psy car à l'armée on ne pouvait pas vraiment lui expliquer". Il s'est mis en arrêt maladie. Ne s'est pas représenté au bout du délai de grâce des quinze jours. Puis a laissé filer. Le voilà agent de sécurité incendie. "Et maintenant, ça se passe bien ?", demande, bienveillant, le président Henri Garric. "On essaie de construire quelque chose."

    L'avocat n'a guère à ajouter sur "ce jeune homme plein d'avenir". La procureure, Alexandra Onfray, est dubitative. Elle voit trop de déserteurs dans les régiments basés outre-Rhin ; manifestement, ils se donnent le mot. Le problème a été signalé à l'état-major. "Il faut que les déserteurs d'Allemagne sachent que les poursuites pénales seront une certitude", lance-t-elle.

    Pour Jérémy, nul doute en revanche. "Mentalement, ça n'allait plus bien du tout. Je n'arrivais plus à dormir et j'avais des comportements difficiles avec ma famille." Seul son médecin traitant l'a aidé, confie-t-il. Avec des antidépresseurs. Et dix mois d'arrêt maladie. "Il a indiscutablement mal vécu sa mission au Kosovo, compatit la procureure. Il a été le souffre-douleur. C'est à son retour qu'il a manifesté un état anxio-dépressif." Quand il est réapparu devant le médecin militaire, c'était trop tard : "terminé", lui a-t-on dit. Le tribunal prononce 15 jours de prison avec sursis.

    Souvent, la violence s'en mêle. Les "rapatriés disciplinaires" prennent les "vols bleus", les blessés embarquent sur les vols sanitaires. De "pitoyables bagarres d'arsouilles", enfumées par la loi du silence, note Mme Onfray, qui obtient un an de mise à l'épreuve pour Veasna Bouth, 23 ans, absent de l'audience, comme beaucoup. Lui a déserté au bout de deux ans. Sans diplôme ni ressources connues à ce jour, il gardera un tympan perforé par une "claque du légionnaire", après une rixe de la Saint-Sylvestre à Mitrovica.

    L'armée a déjà dit au première classe Frédérik Boisgerault, 23 ans, que son contrat ne serait pas renouvelé, en avril 2010. Il n'avait pas d'antécédents judiciaires. Mais au 3e régiment de hussards, il a collectionné les jours d'arrêt : violences, "absences irrégulières", début de désertion. La hiérarchie avait noté : "Il doit se reprendre en main sans tarder. "

    A l'occasion d'un pot de départ, en août 2008, des sous-officiers très alcoolisés ont entamé une bataille rangée avec les premières classes qui s'étaient invités. Dans le garage où se tenait la fête, les gradés ont saisi pelle, hache, chaîne de tronçonneuse. Quand la situation s'est calmée, Frédérik Boisgerault est allé frapper son brigadier dans sa chambre. Cette "voie de fait envers un supérieur" lui vaut trois mois avec sursis.

    Comme pour les autres, le tribunal exclut une inscription de la peine au bulletin numéro 2 du casier judiciaire. Une telle mention rendrait impossible une reconversion dans un métier de la sécurité. Elle fermerait la porte d'un avenir déjà un peu compliqué, souligne inlassablement le président Garric.


    1 commentaire
  • Il est difficile de nos jours de connaître les figures exactes du nombre de déserteurs dans l'Armée Française.

    Ces dernières années, les absences irrégulières non justifiées faisant l’objet d’une procédure de désertion ont concerné annuellement près de 2 000 militaires de l’armée de terre.

    À la date du 8 décembre 2009, 391 militaires étaient considérés comme déserteurs au sein de cette armée, parmi lesquels 12 servaient à titre étranger. L’armée de terre ne détient actuellement pas de statistiques par arme, mais uniquement par brigade. Ainsi, sur les 391 déserteurs recensés, 35 appartenaient à la 11e brigade parachutiste (soit 0,4 % de son effectif), 12 à la 9e brigade légère blindée d’infanterie de marine (soit 0,2 % de son effectif) et un à la brigade des forces spéciales terre.


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